On sent que c'est bientôt les exams, personne ne publie en ce moment - Le Parfum de Patrick Süskind




Devinez qui avait prévu de publier un article sur un bouquin bien glauque pour la Saint-Valentin (pourquoi pas) et a oublié son article dans un coin de l’ordi pendant deux mois ? Bref, c’est parti pour mon coup de cœur du mois de novembre : Le Parfum, de Patrick Süskind.

Paris, sous Louis XV. Jean-Baptiste Grenouille a une vie de merde : née au milieu des reflux nauséabonds d’un marché aux poissons auxquels se mêlent les relents d’une fausse commune, abandonné, maltraité, négligé, il n’aurait pas fait tâche au milieu de la vaste galerie de personnages dickensiens. Mais deux choses distinguent Grenouille de la longue liste des enfants malheureux en littérature : d’abord, c’est un pauvre type ; et, surtout, il est doté d’un odorat surdéveloppé, fantastique, et toute sa vie n’est dédiée qu’à une obsession, les odeurs. S’engageant dans un long rocambolesque parcours de formation au métier de parfumeur, le jeune homme se fixe un but pour le moins inattendu : très peu pour lui les extractions d’odeurs de fleurs et de fruits, lui, le grand Grenouille, distillera les essences des êtres humains.

Si vous aimez les ambiances un peu glauques, vous serez servis : durant toute la première partie du roman, Süskind nous fait baigner dans la crasse et la puanteur du Paris du XVIIIe, les descriptions sont si fournies et détaillées qu’on a réellement la sensation d’être oppressé, agressé par ces odeurs de crasse, de décomposition aux autres joyeusetés. Au fur et à mesure que l’histoire s’éloigne des rues de Paris pour pénétrer la suave intimité d’un atelier de parfumeur ou pour errer à travers les rues du petit village de Grasse, on pourrait espérer un certain allégement de cette atmosphère putride – que nenni, ami lecteur : car cette histoire fétide repose sur les épaules d’un personnage qui, aussi ironique cela soit-il, ne sent pas.

Jean-Baptiste Grenouille est un personnage absolument hors-norme, aussi bien en tant qu’être humain qu’en tant que personnage littéraire : jamais je n’ai rencontré un protagoniste – ni même un antagoniste – pareil. Le contraste saisissant entre la façon dont les autres personnages le perçoivent et les plongées dans son esprit rendent la construction du personnage d’autant plus déroutante : Grenouille parvient à être, tout à la fois, profondément insignifiant et absolument unique, maître des évènements et complètement passif, totalement misanthrope et obsédé par le corps humain, mégalomane et sans saveur, bref, il est tout et son contraire. Il est rare d’avoir pour héros un antagoniste, d’autant plus lorsqu’il n’y a personne pour s’opposer à lui : Grenouille est, pour paraphraser Süskind, une tique : minuscule, invisible, sans envergure, il attend son heure et cause, le moment venu, des dégâts considérables dont personne ne se rend compte sur le moment. Les passages dédiés à la description de ses pensées les plus profondes, lorsque le personnage est livré à lui-même et se renferme dans sa propre imagination, sont fascinants : Grenouille est un mégalomaniaque de première, ce qui est rendu d’autant plus effrayant par le fait que, aussi transporté qu’il puisse être par son amour de lui-même, le personnage reste toujours dans le contrôle, dans une froide maîtrise. Même les plus grands moments d’exaltation, de triomphe, sont froids. En définitive, un personnage troublant, comme on en voit très peu, à la psychologie à la fois extrêmement complexe et étonnamment claire et logique, tranchée au scalpel – un personnage qui nous fait face à nos pires contradictions, en tant que lecteur : Grenouille est bien trop fascinant pour qu’on puisse le détester.

Dernier petit teaser : le dénouement est absolument unique en son genre. Pas de bol pour moi, je m’étais fait salement spoilé par mon paternel, donc pas de surprises, et, pourtant, ça m’a fait un petit truc quand même. J’attends avec impatience vos commentaires si vous l’avez lu sans connaître la fin, votre ressenti m’intéresse.

Après cette lecture, vous accorderez aux odeurs, thème bien souvent laissé de côté en littérature, un tout nouvel intérêt. Traité par un auteur aussi talentueux et imaginatif que Süskind, le sujet explore toutes les palettes de sensations que peut susciter en nous un grand livre – fascination, séduction, répulsion, frisson.

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