Déclaration d'amour à Louise O'Neill

Louise O’Neill est une jeune auteure irlandaise qui a autrefois travaillé pour Elle à New York ; suite à une crise existentielle, elle est revenue sur sa terre maternelle et nous a pondu ces deux fantastique livres, qui sont probablement deux de mes meilleurs découvertes de 2017. Quand j’ai reposé chaque livre, je me sentais à la fois vidée et pleine de force, car O’Neill aborde des sujets durs et ne ménage en aucun cas ses lecteurs. Je pourrais écrire une déclaration d’amour à cette femme - j’aurais peut-être l’occasion de le faire un jour d’ailleurs. Mais pour l’instant, passons à la présentation de ses deux livres, dans l’ordre où je les ai lus.



Pas de résumé pour Asking for it, plongeons directement dans le vif du sujet car j’ai beaucoup à dire : le roman se découpe en trois parties qui s’équilibrent plutôt bien. Dans le premier tiers, on apprend à connaître (et à détester) le personnage principal, Emma, une adolescente imbuvable obsédée par l’apparence et la réputation (mais qui ne l’a jamais été ? Dans mon cas j’étais plutôt obsédée par mon absence de réputation…). Je vais même vous dire ce que j’ai écrit dans mon carnet secret : “Emma is such a bitch” (pour dire ce genre de choses j’utilise l’anglais, ça sonne mieux…) ; le truc c’est qu’Emma est totalement immergée dans ce que l’auteure dénonce, à savoir la culture du viol. Et on se pose des questions sur la tenue (“est-ce que ce short me fait un cul d’enfer ? Est-ce qu’il est trop court ?”), et on fait du slut-shaming en passant (“Oh elle, elle a donné sa virginité à Brad alors qu’elle était défoncée et inconsciente, pfff aucun respect.”). Beaucoup de choses nous interpellent dans cette première partie. Et on éprouve aucune compassion pour Emma.

Le deuxième tiers du roman est consacré à la partie de la soirée où Emma se fait violer deux fois - et oui, deux, parce que quand quelqu’un qui a bu dit non, et quand quelqu’un d’inconscient ne peut rien dire, les deux fois c’est un viol. Ce qui lui est fait est abominable. Et bien qu’elle n’ait pas été consciente pendant le second viol, notre imagination va assez loin. Les réactions de son entourage sont tout aussi, si ce n’est plus horribles. Que ce soit sa famille ou ses amies, ils pensent tous que c’est une débauchée qui s’est tapée cinq mecs en même temps ; je ne sais pas comment ils n’ont pas pu voir sur la vidéo - parce que oui, vidéo ! - qu’elle était inconsciente mais on passera sous silence (ou pas) leur stupidité. On doit néanmoins nuancer puisqu’Emma elle-même est très confuse, et ne veut surtout pas faire quelque chose qui compromettrait sa popularité et qui gâcherait la vie de ses bourreaux. La seule personne qui rachète toute cette bande d’enfoirés, c’est la conseillère du lycée. Dans beaucoup de romans traitant de ce genre de délit, on nous montre un personnel/corps enseignant impuissant (13 reasons why) mais ici non, ENFIN ! C’est la conseillère du lycée qui explique à Emma qu’elle a été violée. Par plusieurs jeunes hommes qu’elle connaissait bien puisque certains sont ses amis.

Le dernier tiers du roman se déroule un an plus tard. On suit la vie d’Emma, déscolarisée, abandonnée par ses parents, qui a fait des tentatives de suicide ; le procès contre les jeunes hommes est en cours et la petite ville est sous tension. On peut voir très en détail comment la plainte de viol a affecté Emma et sa famille : économiquement, parce que oui la thérapie coûte cher, socialement car ils sont traités comme des lépreux, et mentalement. J’ai envie de vous partager deux scènes qui m’ont marquée : la première, c’est la découverte d’un comité de soutien pour les violeurs, avec leurs petites copines qui portent des tee-shirts #teamBrad, #teamColin etc. On dirait que c’est une mode ou une série télévisée, et ça fait peur. La deuxième c’est la fin. Il n’y avait pas de bonne solution pour finir cette histoire, pas de happy end où tout le monde va s’excuser auprès d’Emma et elle s’en va pour de nouvelles aventures toute revigorée et pleine d’espoir. Non, sa mère lui dit même dans les dernières lignes “Ce sont de bons garçons, ça a juste dérapé.”

L’auteure a écrit un mot à la fin, expliquant pourquoi elle avait écrit ce livre, pour qui et qu’est-ce qu’elle voulait qu’il en résulte - à savoir un débat sur le consentement, une explication à l’école et un monde dans lequel une femme sur trois ne subit pas un abus sexuel au moins une fois dans sa vie.

Je vous partage aussi quelques uns des extraits d’interviews qu’elle a donné à divers journaux irlandais : “O’Neill was intent on having protagonist Emma as the ‘mean girl’. “I wanted to invert that trope of the idea of the victim being this sweet innocent girl.” She wanted “to make the reader almost complicit because of the fact Emma is unlikeable.” “Because she behaves in ways before and after the rape that don’t conform to our ideas of how a victim behaves. That is really important - we need to understand there is no such thing as a perfect victim.” She wanted the reader “to almost get to a point where they are saying she nearly was asking for it, to have that frightening moment of realising you are blaming her as well.”



Maintenant passons à son premier livre (mais le deuxième livre que j’ai lu d’elle) : Only ever yours, un monde où les petites filles ne naissent plus naturellement, mais sont créées en laboratoire et entraînées dans des écoles à devenir des femmes parfaites. freida espère se maintenir dans le classement pour devenir une compagne (épouse) plutôt qu’une concubine (objet de plaisir sexuel) ou un professeur. Rien ne va plus pour cette dernière année : sa meilleure amie prend du poids (impensable), et elle-même commence à se sentir nerveuse quand à l’avenir qui l’attend.

Ma première réaction : Soufflée. Bouleversée. Je ne pouvais pas croire ce que je venais de lire. Et énervée/horrifiée par cette société si cruelle et injuste qui utilise ces femmes, qui n’ont même pas le droit à une mort : elles sont retirées de la vie à 40 ans. Et bien sûr, aucun libre arbitre sur le corps et l’esprit. Les femmes portent un numéro (#630) et n’ont pas de majuscule à leur prénom. Elles doivent toutes mesurer la même taille, penser le même poids, montrer les mêmes dispositions.

Dès le début, on s’attarde sur freida, qui a beaucoup de doutes et d’insécurités qui la rendent plus proche du lecteur. Au début, nous sommes horrifiés, dégoûtés par ce monde si étranger au nôtre, et puis mine de rien, tout comme les personnages, nous intériorisons les normes de ce destin inévitable. On a peur, on espère pour ce personnage banal (loin d’être une rebelle comme Isabel ou une salope comme Megan) dans la norme. Seule relation véritable de cet ouvrage est l’amitié qu’Isabel et Freida entretiennent, qui prouve qu’elles restent capables de sentiments et ne sont pas des machines. On vit tout à travers le personnage : quand elle tombe dans le classement on est anxieux, presque énervés quand elle fait des erreurs humaines. Professeur (chastity) est la meilleure place car elles sont autorisées à vieillir mais on est encouragés à penser que compagne est mieux alors que c’est devenir une poule pondeuse et être mise au rebut à 40 ans. C’est épuisant pour le lecteur, qui doit toujours être sur ses gardes, à ne pas se prendre trop au “jeu”, ne pas entrer dans la compétition qui fait rage entre les jeunes femmes.

Il y a évidemment une réflexion importante sur le corps, le rapport au corps, le poids mais aussi le consentement et la société car c’est une culture de l’obsession. L’auteure s’est d’ailleurs inspirée de ses propres journaux d’adolescence pour transposer ce qu’elle ressentait à cette époque : “It was just this obsession with what people thought of me… was I good enough, was I pretty enough. Comparing myself constantly. I was so stuck in my own head with these negative, dysfunctional behaviours.” Bien au delà de la scienc-fiction, ce livre reflète des obligations que les femmes actuelles peuvent ressentir : surveiller les calories, toutes ces photos sur les réseaux sociaux pour se créer une image, des comportements qui dégagent une énergie négative. Avec un patriarcat très établi, le décalage entre les hommes et les femmes (qui doivent être tout simplement parfaites) est juste criant de vérité.

Après ce long article, vous aurez compris que ces deux romans m’ont particulièrement intéressée et fait réfléchir. Une belle rencontre avec cette auteure, qui devrait se poursuivre en 2018 puisque deux prochain romans sont à paraître : Almost love le 8 mars 2018 et une réécriture féministe de La petite sirène (est-ce que vous voyez mes yeux qui pétillent à travers votre écran ?).

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