"La Gare de Sap'Yong" de Lim Chul-Woo

(cette image n'est pas à moi)

   "La Gare de Sap'Yong", comme le titre l'indique assez clairement, se passe dans une gare, mais pas n'importe laquelle: il s'agit d'une petite gare perdue en pleine montagne et ce jour-là, elle est coupée du monde par une tempête de neige. Le décor nous met déjà dans l'ambiance, on se croirait dans un film. En plus, il fait nuit noire.  A l'intérieur, le chef de gare s'inquiète car le dernier train est en retard, ce qui est de mauvais augure pour les cinq, bientôt neuf personnes, qui attendent dans la "salle d'attente" (méga ambiance, giga amusement...) où tous sont transi de froid malgré le poêle. Parmi eux se trouvent un vieillard malade et son fils qui se rendent à l'hôpital, une folle allongée à l'extrémité d'un banc, un ancien étudiant assis à l'autre bout ainsi qu'un ancien prisonnier politique qui se tient près du poêle. Arrivent ensuite une jeune fille dont on sous-entend fortement qu'elle se prostitue, deux marchandes et une femme de Séoul, propriétaire d'un restaurant, qui jure avec les autres. 

    Cette histoire dresse en une quarantaine de pages le portrait de la société coréenne: on en retrouve les différentes classes sociales, du paysan à la riche propriétaire en passant par l'étudiant et la prostituée, différences qui se trouvent accentuées par l'écart générationnel puisqu'avec le développement de la Corée du Sud, les préoccupations des jeunes s'éloignent de plus en plus de celles des aînés, encore paysans qui ne comprennent pas ou peu ce nouveau monde et qui s'appuient encore beaucoup sur eux (note: il faut savoir que la famille est l'une des valeurs prônées par la Corée, aujourd'hui encore, et qu'on l'honore en lui accordant son temps et son énergie et en la soutenant dans la vieillesse). On pourrait croire que les personnages, par leur apparente dimension antithétique, sont forcément isolés les uns des autres et d'une certaine manière, c'est le cas: ils ont tous une histoire différente, laquelle est parfois racontée en quelques lignes, ils sont tous en train de vivre des moments difficiles comme le jeune homme qui a été renvoyé de son université alors que toute sa famille, très pauvre, compte sur lui pour qu'il devienne juge et leur fasse honneur ou l'ancien prisonnier qui n'a plus de repères après avoir passé douze ans en prison.

   J'ai beaucoup aimé cette nouvelle, la première du recueil, elle nous met en quelque sorte en condition pour lire les suivantes en nous montrant plusieurs facettes de sa population dans les années suivant l'armistice avec la Corée du Nord (pour vous situer, la Guerre de Corée a lieu entre 1950 et 1953 et s'est soldée par un armistice). L'auteur révèle, sans trop en dire, les tensions socio-politico-économiques qui ont agité son pays en plein développement car cette nation démocratique, qui s'ouvrait alors à l'international, avait mis en place une répression et une censure dignes d'une dictature. De plus, les personnages sont attachants au possible, même ceux qui nous paraissent antipathiques au premier abord. Je dis "au premier abord" parce que cette nouvelle, il faut la lire pour comprendre la vie difficile des personnages entassés les uns sur les autres dans cette salle d'attente, attendant un train, métaphore, peut-être, de l'espoir d'une vie meilleure, qui n'arrivera probablement jamais. Ce qui me fait dire que si en apparence ils attendent le train, à mon avis, ils attendent autre chose, un bouleversement, une amélioration de la vie. Ils attendent aussi parce qu'ils n'ont pas d'autre choix, jusqu'à ce qu'un après se dessine à l'horizon. 

    En conclusion, je me permettrai de dire que cette nouvelle est comme une poupée russe: on ouvre une boîte qui en cache une autre qui en cache une autre,... Parce qu'outre la peinture de la société, on découvre une dimension métaphorique au texte ainsi qu'une dimension philosophie qui s'attache à explorer, brièvement mais efficacement, les solitudes, le sens de la vie et la manière dont le vécu personnel et les problèmes qui en résultent modifient notre perception de l'existence. 

   Avis aux amateurs de nouvelles réalistes, "La Gare de Sap'Yong" est pour vous.

A jeudi prochain,
Andréa. 

Commentaires

Articles les plus consultés