Lecture commune du mois d'août : Mrs Dalloway par Virginia Woolf


[Cet article reflète plusieurs points de vue successifs et divergents, attention! La première partie de l'article est écrite par Roxane avec le concours d'Andréa ; la seconde partie est écrite par Salomé]




               En classe préparatoire, nous devons passer des khôlles : un oral de vingt minutes suivi d'un entretien avec le professeur de dix minutes sur un sujet donné qui doit être préparé soit une semaine à l'avance soit une heure à l'avance. Durant mon année de khâgne, j'ai dû passer une khôlle d'anglais sur un extrait de Mrs Dalloway. Ma prof d'anglais étant, je pense, la plus grande fan de Virginia Woolf, elle nous en parlait très souvent et Mrs Dalloway était son livre préféré. Son enthousiasme face à ce roman m'avait contaminé, et , bien que je ne l'eusse pas encore lu, j'étais très heureuse d'avoir à travailler dessus. Pourtant (horreur ! malheur !), je me suis vite aperçu qu'il m'avait rarement été donné l'occasion d'étudier un texte aussi peu intéressant... Je n'étais donc pas très emballée lorsque mes chères compagnes de blog ont proposé Mrs Dalloway comme lecture commune ; mais je me suis pliée aux lois de la démocratie (Vox populi vox dei, comme dirait l'autre). Encore une fois je ne partais pas dans de bonnes dispositions (cf. mon article sur Eva Luna) tout en me disant que je n'étais pas forcément à l'abri d'une bonne surprise.

              Hélas, la bonne surprise sera pour une autre fois ! Je me suis ennuyée du début à la fin du roman. Plus d'une fois j'ai été tentée de l'abandonner, mais j'ai pris sur moi et j'ai essayé de m'accrocher. La plupart du temps je lisais sans lire, ou plus exactement sans savoir ce que je lisais, je passais à côté en attendant simplement que ça se termine. J'ai vraiment essayé de me concentrer mais je perdais constamment le fil... à tel point que je me souviens d'un passage où je me suis dit : "Attends... il y a un mort là ? Mais qui est mort ? Une seconde... On parle de QUI là ? Il est vraiment mort ou c'est une métaphore ? Ah mais peut-être qu'il parle de quelqu'un d'autre et que c'est un souvenir ! Ou pas ? Je comprends pas... Oh et puis tant pis !"

               Mrs Dalloway, c'est l'histoire d'une femme qui s'ennuie. Je vous vois venir : "Madame Bovary aussi c'est une femme qui s'ennuie, et pourtant tu as adoré Mme Bovary !" Certes. Mais je vois une différence majeure entre Mrs Dalloway et Mme Bovary : l'écriture. Mme Bovary est l'histoire très bien écrite d'une femme qui s'ennuie, mais le génie de Flaubert fait que je ne m'ennuie jamais. Mrs Dalloway est l'histoire d'une femme qui s'ennuie écrite par une femme qui s'ennuie, et celui qui s'ennuie le plus dans cette histoire, c'est le lecteur.

               Outre le style de Virginia Woolf, je pense que je n'ai pas accroché à ce livre à cause de la manière dont l'histoire est racontée : un personnage pense à quelque chose qui lui fait penser à autre chose qui lui fait penser à quelqu'un, sauf qu'à ce moment le personnage (à ce stade, j'ai déjà perdu le fil et je ne sais plus de quel personnage on parle) croise un autre personnage et du coup la narration bascule dans les pensées d'un personnage encore différent mais qui est important parce qu'il a assisté à la scène (oui, c'est logique quand on s'appelle Virginia Woolf) ; scène qui, je le rappelle, consiste ne un personnage qui pense... Tous ces entrecroisements n'aident pas vraiment le lecteur à garder le fil, et c'est ce qui, je pense, a favorisé ma propension à lire à côté. Et plus on perd le fil, moins on a envie de s'accrocher...
Dans ma présentation, mes amies ont écrit que j'aimais les livres où les personnages pensent beaucoup, ce qui pourrait donc paraître contradictoire avec l'idée que je n'ai pas apprécié Mrs Dalloway parce que les personnages pensent trop. Je me permets donc ici une petite rectification : j'aime les introspections, qui, je trouve, apportent de la matière au personnage. Dans Mrs Dalloway par contre, il n'y a pas vraiment d'introspection, ni de pensée "profonde", c'est plutôt : "je vais acheter des fleurs. Oh mais c'est Machin assis sur le banc là-bas !" et je ne vois pas bien l'intérêt de faire tout un livre comme ça...

               Je pense que pour qu'un livre fonctionne bien, il faut que l'auteur établisse une relation à double sens entre lui-même, son livre et son lecteur. Or, j'ai eu l'impression que Virginia Woolf oubliait qu'elle n'était pas seule face à son roman, l'imaginaire du lecteur est coupé avant même de pouvoir prendre racine. En tant que lectrice, je n'ai malheureusement pas réussit à trouver ma place...

               Quant aux personnages, je les trouve exaspérants. Enfin, seulement ceux qui ne sont pas totalement insipides...

               En toute honnêteté, je ne comprends pas comment il est possible d'apprécier (même un tout petit peu) ce roman. Pour ma part, je pense douloureusement pour la première fois (et j'espère la dernière) que j'ai perdu mon temps à lire ce livre... Mais je reste ouverte au débat, et si vous aimez Mrs Dalloway, s'il vous plaît, éclairez ma lanterne : qu'est-ce qui fait, selon vous, de ce livre un chef d'oeuvre ? Aidez-moi à voir ce que j'ai raté.


Je pense que la raison pour laquelle j’ai apprécié ce roman est grâce à la plume d’une autre grande auteure (autre que Virginia Woolf) : Lydie Salvayre. Elle a écrit le livre Sept femmes, qui en plus de donner envie d’écrire, place aussi un contexte sur la vie (et bien souvent la mort) de sept auteures. Dont Virginia Woolf. Et quand on connaît la vie et l’esprit de Virginia Woolf, Mrs Dalloway est plus que logique.


“Ce comportement anachronique, décalé, inexplicable, sera souvent celui des personnages woolfiens, des êtres infiniment complexes, faits de néant et de fièvres, faits de flux et de fragments qui s’entrecroisent, animés de mouvements si fugitifs, si changeants, si évanouissants, si impondérables que Woolf ne parvient pas à les nommer.
Devant la nature, en revanche, devant la campagne et ses saisons, devant sa beauté, ses couleurs, son chatoiement sous le soleil, devant les averses fantasques, les douces courbes du fleuve et le vol des freux qui palpitent dans le ciel, Virginia Woolf, pure de toute angoisse, peut sereinement emmailloter toutes ses sensations dans ses mots.”


Après cet éclairage sur la personnalité et les “limites” littéraires de Woolf, on comprend pourquoi elle décrit parfois des faits sans queue ni tête, sans cohérence apparente mais qui sont parfaitement cohérents pour elle ; les descriptions de la nature et des parcs de Londres sont posés, calmes ; les pensées des personnages bouillonnent, à ne plus savoir qu’en faire ! C’est la fièvre : une pensée en amène une autre, qui en amène une autre, et si cette autre personne dans la rue pense à ça, pourquoi ne pas l’écrire ? Ne serait-ce pas merveilleux de réussir à ressentir ce tourbillon tellement humain ?


Cet aspect m’a marquée, m’a enthousiasmée : j’ai été happée par l’histoire et ses personnages et j’ai dévoré Mrs Dalloway. C’est grâce à cette narration intimiste, très interne : nous sommes le personnage ; quelqu’un pense donc il est. Si nous pensons ce que pense Clarissa Dalloway, nous devenons Clarissa Dalloway. Et c’est du génie. Son style est vraiment particulier, très poétique et tout autant mélancolique.


Après ma lecture, j’ai aussi apprécié de pouvoir faire des liens entre les évenements de la vie et pensées de Woolf et son oeuvre. Saviez-vous par exemple, qu’après la mort de son père, elle entendait des voix qui l’appelaient et qu’elle a tenté de se défenestrer ? Un des personnages souffre de ce mal. Il suggère aussi à sa femme de se jeter dans la rivière pour qu’ils se noient tous deux. Je vous laisse deviner comment Woolf est morte… Trouver des connexions entre la vie de l’auteure et son oeuvre me l’a rendue plus proche et plus tangible.


C’est pour ça que je suis à l’opposé le plus complet de l’avis de Roxane et Andréa. Comment peut-on s’ennuyer une minute pendant cette lecture ? Vous aurez compris que j’ai adoré ma lecture, qu’elle m’a captivée. Je trouve que l’ennui est inhérent à la vie de Clarissa Dalloway et des femmes de son milieu, mais pour moi (et Lydie Salvayre) on y voit surtout une critique de “tout ce que comporte d'exécrable cette société anglaise amidonnée, puritaine, étranglée de principes et violemment répressive sous le vernis de sa bienséance”. C’est l’histoire d’une femme qui aurait pu être beaucoup plus que ce qu’elle est et qui s’en rend compte ; qui parfois souhaite ces réceptions frivoles, et d’autres rêve de quelque chose de plus profond. Un oiseau à qui on aurait coupé les ailes.

(Je suis presque prise d’une envolée lyrique à la Proust, pardonnez-moi)

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