Lecture à thème du mois de juillet : "L'Aliéniste" de Joachim Maria Machado de Assis (joli nom)



- Je ne connais rien à la science, mais si tant de gens, dont nous estimons qu'ils ont du jugement, sont enfermés en tant que déments, qui nous assure que l'aliéné n'est pas l'aliéniste lui-même ?

Pour cette première lecture à thème, embarquons-nous pour le pays de la bossa nova, de la Caïpirinha et des chanteuses avec des bananes sur la tête, pour un petit conte philosophique très sympathique. Mais ne sortez pas les coiffes à plumes fluo tout de suite, c'est pas trop l'ambiance.

Au XIXe siècle, alors que la psychiatrie en est encore à ses balbutiements, le docteur Simon Bacamarte décide de dédier sa vie à l’étude des déments ; la gestion de la Maison Verte, institution vouée à accueillir les malades mentaux, devient le centre de sa vie. Or, le scientifique, mu par une insatiable soif de découverte, pousse le zèle un peu trop loin : décelant les troubles les plus farfelus chez ses voisins, il exige l’internement de chaque sujet susceptible d’assouvir sa curiosité, si bien que, très vite, la quasi-totalité de la petite ville d’Itaguaí se retrouve enfermée à la Maison Verte…

La psychiatrie est un domaine qui m’a toujours fascinée et que j’adore retrouver en littérature. Ici, cependant, ce thème ne prend pas une place capitale : la folie au sens clinique du terme n’est jamais abordée frontalement, pour la simple et bonne raison que les patients internés à la Maison Verte ne sont pas fous – tout au plus sont-ils excentriques. Le texte se veut avant tout une satire à l’ironie mordante, où les sujets abordés –et moqués – ne sont pas sans rappeler les cibles de prédilection de notre Flaubert national (toujours dans nos coeurs, #BacLittéraire2015, aime si tu pleures à chaque fois): bêtise et hypocrisie de la société, arrogance des savants, etc. J’adore les auteurs ironiques : pour moi, l’ironie est comme une marque de confiance de l’auteur envers l’intelligence de son lecteur, un auteur n’a pas besoin de tout expliquer, et la lecture qui s’effectue entre les lignes est, selon moi, la plus gratifiante de toutes - en tant que jeune lectrice qui a encore énormément de choses à apprendre et toute une culture littéraire à forger, je le ressens un peu comme si l'auteur me disait : "là j'ai voulu faire un truc, tu es capable de le comprendre toute seule, maintenant enlève les petites roues et fonce, je te regarde" - *insérer le thème final d'Harry Potter*, tout le monde pleure, vous avez compris. Et, dans ce petit texte (moins de 100 pages), certaines petites phrases qui, si l’on n’y réfléchit pas à deux fois, n’ont l’air de rien, sont en réalité bourrées de sarcasme. Le ton est piquant, l’absurdité est au rendez-vous, ce qui est très agréable.


Cependant, si le format du conte philosophique, ou de la nouvelle – tout dépend de comment on perçoit la chose – sert parfaitement l’effet recherché, la longueur de texte a, en ce qui me concerne, joué en sa défaveur. Si les personnages sont croqués de façon très efficace, et si l’on comprend parfaitement à qui l’on a affaire, le récit ne laisse pas le temps de s’attacher à eux, d’entrer en empathie avec eux. Ce qui est d’autant plus dommage dans le cas du personnage principal, Simon Bacamarte, qui, hors de rôle purement loufoque qu’il joue dans cette œuvre, aurait eu un potentiel immense en tant que personnage de roman - ou comme super méchant de comics ou boss de fin de jeu vidéo : c’est, au final, l’un des personnages que l’on fréquente le moins, mais il est toujours présent à travers la peur et la colère qu’il inspire à ses concitoyens ; toujours calme et poli, il n’en est pas moins animé par une fascination presque malsaine pour son domaine d’étude, une passion si dévorante qu’elle lui fait perdre tout sens des réalités, sans pour autant entamer sa logique, car il y a une logique au cœur de la pensée complètement absurde de Bacamarte, ce qui, contexte comique mis à part, le rend d’autant plus inquiétant… Bref, tous les ingrédients nécessaires pour créer un antihéros ou un antagoniste tourmenté, et fascinant, d'autant plus difficile - impossible ? - à arrêter qu'il n'a absolument pas conscience du mal qu'il fait et que personne n'est capable de le lui faire comprendre. J’espère retrouver un jour un personnage similaire, mais plus développé, dans une œuvre plus longue !

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