LIVRE PRÉFÉRÉ : "Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates" de Mary Ann Schaffer et Annie Barrows

"Je me demande comment cet ouvrage est arrivé à Guernesey. Peut-être les livres possèdent-ils un instinct de préservation secret qui les guide jusqu'à leur lecteur idéal. Comme il serait délicieux que ce soit le cas."

("Choisis ton livre préféré" : c'est comme choisir votre enfant préféré, je ne le recommande à personne !)

Pour certaines personnes, la réponse est automatique, instinctive. Pour moi en revanche quand je pense "livre préféré" et que je dois répondre dans la seconde qui suit, je fais face à un grand point d'interrogation. Je n'ai pas envie de délaisser un livre au profit d'un autre, une perspective au profit d'une autre – surtout dans cet article dont le livre est censé vous apprendre quelque chose sur moi-même.

Déjà, livre préféré et non pas saga/duologie/trilogie préférée - on élimine donc Harry Potter, La Passe-Miroir, Six of crows/Crooked Kingdom. Ensuite, j'ai pensé aux Hauts de Hurlevent, le livre qui m'a fait découvrir la littérature anglaise, mon sujet d'études actuel et donc une part importante de ma vie. Mais Emily Brontë nous dépeint une ambiance très sombre et profondément pessimiste sur la nature humaine, ce qui est quelque chose qui me parle et que j'apprécie mais que je ne veux pas qui me définisse.

J'ai donc décidé de choisir un livre infiniment plus léger, plus contemporain mais qui me colle presque à la peau : Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates de Mary-Ann Schaffer et Annie Barrows. C'est l'histoire de Juliet, écrivain/reporter au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Un jour, elle reçoit la lettre d'un homme de Guernesey, qui est en possession d'un de ses anciens livres. Il lui parle de littérature mais aussi d'occupation, de rationnement et surtout de la belle île de Guernesey. Conquise, Juliet ne se contente bientôt plus de ces lettres et part sur Guernesey, avec pour projet d'en faire peut-être son prochain roman.

Beaucoup de choses me plaisent dans cet ouvrage, notamment son format épistolaire, qui retranscrit à la perfection le côté historique mais aussi lui confère un charme presque désuet. J'ai toujours aimé les lettres, et écrire sur du papier pour pouvoir garder une trace. De plus, j'ai l'impression qu'on se confie plus facilement à l'écrit, quand l'autre ne peut pas nous juger – bien qu'une page blanche puisse s'avérer parfois vicieuse je vous l'accorde. La plume n'en est que plus tendre puisque ce sont des "conversations" entre personnes qui se connaissent et très souvent s'apprécient. C'est pour cela que malgré ses thèmes pas forcément joyeux, ce livre est très doux.

Juliet est un modèle. Étant récemment entrée dans l'âge adulte, beaucoup de questions me sont venues, comme un raz-de-marée prêt à me balayer. Mais quand je lis ce livre, quand je vois la vie des adultes qui y sont dépeints - sans fard et sans chichis - je me dis : oui, c'est le genre d'adulte que je veux être. Ces personnages hauts en couleur ou discrets, cultivés ou rustres, sont autant de petites lumières que la noirceur de la guerre n'a pas réussi à éteindre. Ce sont des gens admirables parce qu'ils font de leur mieux et souhaitent souvent le bonheur de leur prochain – ils tiennent rarement rancune contre quelqu'un, soit-il aussi détestable que Miss Addison. De plus, ce sont tous des amoureux des livres, dans toute leur diversité et singularité ; or je n'aime jamais personne autant qu'un amoureux des livres, car ce sont des gens fantastiques, ouverts d'esprit et avec qui la conversation ne se tarit jamais.

Enfin, ce livre est résolument optimiste. Il ne se voile pas la face sur les horreurs dont sont capables les êtres humains, bien au contraire – mais il fait aussi état de la bonté dont ils sont capables. J'avais envie de choisir un livre qui me corresponde, mais qui corresponde aussi à ce que je souhaite pour l'avenir. Longtemps, j'ai regardé vers le passé (comme en témoigne mon attachement pour les livres historiques) mais un changement s'est opéré en moi, et j'aimerais lui souhaiter la bienvenue. Je n'ai pas peur de dire que par delà les Hugo, les Proust et les Shakespeare, que j'admire pourtant, c'est ce livre-ci qui me donne de l'espoir, qui me fait sourire et qui me donne foi en tout ce qui pourrait bien m'arriver - car il dépeint aussi un vieux rêve : celui qu'un livre, envoyé au hasard, peut véritablement changer votre vie.